Voici un extrait d'une nouvelle écrite en 2018, intitulée "Galop vers l'océan", inédite, qui vous emmènera vers le Grand Sud marocain, le long des plages de Dakhla, dans le Sahara : 

Chapitre 1 : Femme de grande tente 

Quand elle se levait, avant l'aube, son premier geste était d'ouvrir, à l'arrière de la grande tente berbère, le passage, un seuil fait de tapis pendus, qui y avait été créé vers l'océan. Elle partait pieds nus sur la plage, y marchait dans les vagues venues y mourir, goûtant ce contact avec l'eau froide, au sortir d'une nuit sous les chaudes couvertures de laine. Le soleil n'apparaissait pas encore mais de premières lueurs donnaient au ciel ces tons splendides du commencement de l'aurore.

L'océan gardait toujours à cette heure-là sa couleur sombre, anthracite, qui emportait l'imagination de Zohra vers ces abysses, ces fonds insondables où vivent des êtres inconnus, hydres terrifiantes, et, peut-être, pensait-elle, ces Djounns des profondeurs capables de surgir des flots à tout moment et qu'il fallait tant redouter.

Le vent marin face auquel elle marchait envahissait ses poumons, lui insufflait un air iodé qu'elle inhalait avec bonheur, faisant des haltes pour prendre de longues respirations, seule dans cette immensité de la grève, déserte à cette heure-là.

Elle laisser flotter son grand foulard comme un pavillon à la poupe d'un navire. Elle aimait ces instants de liberté et de solitude, l'odeur du varech, les embruns parfois, qui humidifiaient son visage, laissant sur ses lèvres ces particules de sel qu'elle goûtait aussitôt. 
Puis Zohra rentrait à la Grand'Tente, d'un pas lent dans le sable profond, encore froid au petit matin.

À son retour sous celle-ci, commençait une journée faite de dévotion à Hassan, son cavalier de Fantasia. Voilà plus de 40 ans qu'elle avait été mariée à lui. Il était une légende dans la région de Dakhla, connu pour son habilité légendaire à monter ses pur-sang arabes, fins et vifs, prompts comme lui aux courses les plus folles dans le bruit assourdissant des tirs de fusil. Il avait été l'un des plus courtisés d'entre eux par les familles désireuses de marier leur fille. Mais Zohra était la plus belle et lui fut promise.

Il avait vieilli bien sûr, mais la soixantaine passée, malgré les chutes et les blessures, il remontait en selle chaque jour, dans sa tenue traditionnelle que préparait Zohra, et elle l'habillait elle-même, avec la même pudeur qu'au premier jour et cette attention aux détails qui témoignait du souci de perfection qui était le sien vis-à-vis de celui qu'elle aimait toujours aussi intensément.

Mais lorsqu'elle rentra ce jour-là, elle eût un pressentiment qui la conduisit à presser le pas.

Il était 7h00 lorsqu'elle souleva les tapis de Chichaoua suspendus qui fermaient l'entrée et pénétra dans la tente.

Copyright Michel Vialatte - Octobre 2018 - Tous droits réservés

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