Juger est exercice de mesure, dans cet ajustement de la peine infligée à l’acte commis que le magistrat a vocation à assurer, qu’il a à garantir ; mesure sans laquelle il n’est de justice ni sobre ni équilibrée.

A Dieppe avant-hier, des juges ont condamné à 3 ans de prison ferme les dirigeants indélicats d’une entreprise de parfum qui avaient eu recours à des méthodes expéditives pour déménager subrepticement leur usine, vouant à un chômage subit plusieurs dizaines de salariées.

La mère de ces personnages sans scrupules, absents à leur procès et installés au Liban dont ils étaient originaires, avait remis lors de l’audience un chèque de plus de 100 000 euros à titre de dédommagement.

Beau geste d’une mère soucieuse de limiter les effets collatéraux des dégâts causés par sa progéniture, pensant ainsi la protéger contre une rigueur excessive de la loi.

Est-ce mettre en adéquation l’acte et la peine que d’infliger 3 ans de prison ferme pour de tels faits, certes déplorables et scandaleux, mais qui n’ont pas brisé de vies humaines même s’ils en ont temporairement déréglé quelques unes ?

Priver de liberté pour 3 ans des hommes ayant quant à eux privé d’emploi leurs employés, est-ce là la réponse appropriée au délit ?

Quel magistrat français ignore-t-il le sort, indigne du pays de Voltaire, de l’Encyclopédie et de la Déclaration des droits de l’Homme, fait aux détenus de ce pays, traités dans l’irrespect des principes de la convention européenne des droits de l’homme et des normes communautaires ?

Quel magistrat décide-t-il sans état d’âme d’infliger trois années de privation de liberté en ignorant les conséquences dévastatrices de sa décision pour l’homme qui va la subir, sauf à être d’une force physique et psychologique rare ? Aucun, sans doute.

 Pourtant , cela vient d’être fait à Dieppe, « vieux port de mer et qui entend le rester ».

On lit ça et là dans la presse que la juridiction dieppoise a opté pour « l’exemplarité par la sévérité », qu’elle a voulu « faire un exemple », formules qui m’ont remémoré le souvenir de commentaires similaires à propos d’autres jugements…

Qu’est-ce à dire ?

Faire un exemple…voilà une affirmation qui paraît antinomique du principe de  mesure inhérent à l’acte de juger.

Bien juger nécessite-t-il de savoir résister à la pulsion sociale, aux élans passagers d’une opinion ballottée dans ses humeurs par les media comme l’esquif peut l’être par le flot agité de l’océan ?

 Poser la question, c’est y répondre…

Accepter de faire profession de juger son prochain, fût-ce dans le cadre défini par les lois d’une République, constitue déjà un acte de foi inouï en soi-même, le témoignage d’un ego suffisamment développé pour permettre ce franchissement étrange et fascinant du pas qui conduit à s’autoriser le jugement d’autrui, le regard critique sur autrui, fût-il encadré par la loi républicaine ; à posséder cette audacieuse conviction intime d’être en capacité de percer les secrets les plus profonds de l’âme humaine, à posséder intérieurement cette conviction d’une supériorité personnelle inexprimable mais appréhendée inconsciemment, ouvrant la voie à la volonté de porter sur son prochain le regard intransigeant de l’évaluateur.   

Exercer le métier de juger, de surcroît, en intégrant dans ses décisions le fait social, le mouvement volatile de l’opinion expose à l’excès et à la disproportion à laquelle on peut s’attendre éventuellement d’un représentant du ministère public mais en aucun cas d’un juge du siège.

L’idée qu’il  puisse en avoir été ainsi à Dieppe ne saurait traverser l’esprit, sauf à avoir perdu toute confiance en notre justice républicaine, ce qu’à Dieu ne plaise, évidemment...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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