"L'écurie Séramy"...

Le président Paul SERAMY avait su, dès son accession à la tête de l’exécutif du Conseil général, repérer et mettre en avant de jeunes élus appelés à un avenir politique qui lui est incontestablement du.

L’un est Jean-Jacques HYEST, issu de la mouvance démocrate-chrétienne, l’autre est Jean-Claude MIGNON, issu du mouvement gaulliste.

Le choix de ces deux poulains relevait  presque chez Paul SERAMY de la coquetterie : affecter de parrainer deux hommes aussi différents que ces deux-là avait quelque chose d’ostentatoire et constituait en quelque sorte l’attestation publique apportée par le président de sa volonté d’être homme de synthèse, jusque dans le choix des filleuls qu’il adoubait, et dont il entendait faire des élus de demain dans son département.

Jean-Jacques HYEST était le bon élève, le juriste rigoureux, introverti, connu pour sa pudeur, sa vie austère de célibataire déjà endurci, et Jean-Claude MIGNON le beau jeune homme, gendre idéal, sans doute peu amateur d’études et de cursus universitaire mais sensible au charme, à la relation affectueuse là où Jean-Jacques HYEST était sensible à la relation déférente. 

Jean-Jacques HYEST semblait poisson dans l’eau dans l’enceinte du conseil général là où Jean-Claude MIGNON, benjamin du conseil général, paraissait emprunté, mal à l’aise, presque timide face aux Alain Peyrefitte, Jacques Larché, Robert Piat ou René Bonnefoy, alors figures départementales installées et respectées.

L’un avait conscience de continuer un itinéraire commencé dans l’ombre et qu’il poursuivait dans ces clair-obscur de scène politique qu’il affectionnait là où l’autre, novice mais roué, jouait plus durablement que cela ne l’aurait mérité le Candide et l’apprenti pour s’attirer les sympathies.

Le premier fut élu en 1982 dans le sud du département, après avoir été durant de longues années un collaborateur discret et proche d’Etienne DAILLY au conseil général, jusqu'en 1979.

D’apparence fragile, doté d’un physique de moine soldat, le teint cireux, les petits yeux vifs et noirs venant donner au visage un air de gravité et de profondeur insondable, une démarche légèrement voûtée et des lèvres fines tirant invariablement sur une cigarette blonde des bouffées de tabac, il sera, dès l’élection de Paul SERAMY, derrière les deux vice présidents ex aequo que furent Alain PEYREFITTE et Jacques LARCHE, élu troisième vice président, chargé de l’administration générale, du personnel et des services d’incendie.

Il se donne très vite l’image d’une éminence grise, ne parvenant qu’à grand peine à se départir des stigmates de l’homme de cabinet qu’il fut auprès d’Etienne DAILLY pour endosser ses habits tous neufs d’élu départemental.

Paul SERAMY en use et abuse, profitant du tropisme administratif de son jeune vice président pour lui  confier les corvées de signature ingrates, les réunions d’instances paritaires et les négociations syndicales.

On le croise le midi au restaurant administratif, toujours accompagné de fonctionnaires anciens appartenant au paysage décennal des attachés de préfecture seine-et-marnais de l’ère DAILLY : il préfère le plateau-repas de self-service aux ripailles des auberges rurales, chères à ses collègues du sud, à l’image de feu l’attachant docteur Jean DERAMAIX, vétérinaire rural madré et bon vivant, au physique massif de sanglier, élu du canton de Voulx.

Son petit bureau du conseil général , au premier étage, dans une aile de bâtiment voisine de celle du directeur général des services, faisait presque figure de tanière, où il semblait tapi, entouré de parapheurs, lisant les gazettes territoriales et les revues professionnelles, paraissant guetter dans le circuit quotidien des notes et actes administratifs le faux pas de ce haut fonctionnaire voisin de lui et dont il conçoit mal l’existence même, tant la culture politique de Jean-Jacques HYEST reste une culture d’Assemblée au sens où l’entendait son mentor Etienne DAILLY,  et non celle de la Vème République, où pouvoir exécutif et pouvoir législatif se partagent, l’un ayant la primauté sur l’autre.

Or Paul SERAMY va mettre en place des institutions départementales calibrées sur le modèle des institutions nationales en créant une sorte d’équilibre des pouvoirs entre l’Assemblée Départementale, grand conseil des communes de Seine-et-Marne, débattant des questions essentielles touchant à l’aménagement du territoire et à l’équipement des communes et l’exécutif qu’il dirige personnellement, force de proposition et de mise en œuvre, dont il a confié la direction au seul  directeur général des services, le préfet Michel DENIEUL.

Jean-Jacques HYEST sera au fond toujours écartelé entre ces deux pouvoirs, appartenant au premier mais se pensant légitime pour exercer le second, déchiré intérieurement entre la volonté de bien faire son métier d’élu et l’ambition réfrénée de diriger l’administration départementale dont il était issu.

Ainsi Jean-Jacques HYEST s’est-il probablement prédestiné lui-même, inconsciemment, et malgré « le pied à l’étrier » que lui mit Paul SERAMY en faisant de « son petit Jean-Jacques » comme il l’appelait familièrement, dès 1982, un vice président de premier plan, à ce destin d’éternel second au conseil général de Seine-et-Marne, ou presque, puisqu’il n’aura été qu’un très fugace président, durant quelques mois, conduisant la majorité départementale à l’échec, de peu certes et dans une conjoncture nationale défavorable à son camp, mais à l’échec quand même,  en 2004.

Juriste éminent, comme son mentor auprès duquel il apprit beaucoup, il s’épanouira en réalité dans les commissions des lois de l’Assemblée Nationale puis du Sénat où il est aujourd’hui l’héritier de cette tradition parlementaire seine-et-marnaise qui, d’Etienne DAILLY à lui-même, en passant par Jacques LARCHE, fournit au Parlement des législateurs compétents, incontestables, reconnus au point de faire accéder les deux derniers à la présidence de la commission des lois de la Haute Assemblée.

Le second, Jean-Claude MIGNON, fils d’un chef d’entreprise connu des élus locaux, fut pour Paul SERAMY, non une éminence grise mais « un poulain », au sens presque hippique du mot ; il s’agissait d’investir sa confiance, d’accorder son soutien, son appui en subventions, son parrainage politique à un jeune homme dont l’équation personnelle, la grande jeunesse, l’aptitude à séduire rappelaient à Paul SERAMY ses propres débuts en politique et en ce sens l’amusaient, le rajeunissaient, lui faisaient un peu revivre ses premières années d’engagement.

Il témoignait d’ailleurs à Jean-Claude MIGNON d’une affection presque filiale, affichée, affectant un paternalisme de bon aloi vis-à-vis de celui qui était alors le jeune premier de la scène politique départementale et dont l’équation personnelle suscitait le scepticisme voire la raillerie de certains anciens.

Il lui flattait la joue en public, à l’Assemblée Départementale ou dans une inauguration, de ces petites tapes amicales dont il avait le secret avec ses proches, presque comme Jean-Luc LAGARDERE eût flatté l’encolure de son pur-sang favori, avant une course à Chantilly.

Mignon, c’était l’écurie SERAMY : il était un « jeune étalon » plein de fougue et d’entrain sur lequel le « parieur » Paul SERAMY avait décidé de « miser lourd », donnant ainsi des gages à un RPR conquérant, voire menaçant pour lui en Seine-et-Marne à l’époque.

Loin des bureaux du conseil général et de son alter ego Jean-Jacques HYEST et fort de l'appui reçu du président du conseil général, Jean-Claude MIGNON s’immergea vite dans la vie quotidienne de la banlieue melunaise, à Dammarie-les-Lys où il réussit dès 1983 à conquérir la mairie aux communistes.

Il n’eut dès lors qu’à capitaliser avec habileté le soutien de Paul SERAMY qui ne manqua pas de se confirmer sans faille, ici pour ériger les archives départementales dans sa ville, installant au détriment de la ville chef-lieu un équipement inespéré pour une ville périphérique, là pour subventionner chacun des projets de rénovation urbaine qu’il concevait.

Ainsi bâtit-il rapidement une implantation politique solide, sur laquelle il assoira une carrière législative durable quasi exclusivement mise au service de ses mandats locaux : Paul SERAMY avait eu de l'intuition...

Jean-Claude MIGNON, fut, sinon une création politique du Président du moins puissamment épaulé par lui dans son accession aux fonctions de maire puis par conséquent de parlementaire ; homme de potentiel au plan électoral repéré très tôt par le président du conseil général, il aura donc lui aussi illustré cette capacité, esquissée par Paul SERAMY dès son accession à la tête de l’exécutif départemental, à mettre en orbite politique de jeunes talents.

Là résidait aussi l’une des dimensions séramiennes de la politique seine-et-marnaise : initier de jeunes élus à l’exercice des responsabilités locales et départementales.

Sans doute eût-il du en initier plus…mais dans le monde politique, cette pratique des "pépinières de jeunes talents" est si rare qu'elle méritait d'être soulignée ici !

FIN
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