Une fête familiale m'a récemment conduit sur les routes de France et notamment sur le réseau autoroutier.

A5, A31, A36, A39, A42, A40, la route de Lyon et des Alpes est désormais pour l'automobiliste une succession de portions d'autoroutes impeccables, conçues par les ingénieurs des sociétés concessionnaires dans le respect d'objectifs de sécurité, d'information optimisée de l'automobiliste sur ses trajets mais aussi de rupture avec cette monotonie pernicieuse du paysage offerte au conducteur essentiellement absorbé par sa conduite et vite inhibé par la répétitivité visuelle de ces bords de voies, qui caractérisaient les parcours autoroutiers réalisés il y a 40 ou 50 ans.

Cette rupture de la monotonie des parcours a été permise par la réflexion, menée il y a déjà 20 ans, par les esprits pionniers qui ont conçu la politique du paysage autoroutier français.

C'est à eux, et singulièrement à l'un d'entre eux, le préfet (h) Michel DENIEUL, Président de société d'autoroute qui fut Directeur de l'architecture au Ministère de la Culture (http://www.georges-pompidou.org/epoque/notices_biblio.htm#denieu), que l'on doit de découvrir aujourd'hui des paysages pensés, architecturés, modelés par l'homme, en fonctions de données multiples et savamment croisées:

    - Favoriser l'intégration de l'autoroute au paysage qui lui préexistait, qu'il importe de meurtrir le moins possible;

    - Faire du couloir autoroutier, à la fois un élément ajouté au paysage de la région traversée, respectueux des formes offertes par le relief, des espèces végétales indigènes et un élément de valorisation de celui-ci:

- créateur de perspectives,

- offrant des panoramas sur lui, par exemple sur les aires de repos,

- concevant des couloirs biologiques pour garantir le maintien de la libre circulation de la faune sauvage sur son territoire d'évolution,

- signalant aussi le patrimoine historique remarquable situé aux abords de l'autoroute, auquel il consacre au demeurant parfois un mini-centre d'interprétation sur l'aire de repos la plus proche.


Ce qui est épatant à observer, après quelque vingt années de réflexion et d'action initiées par Michel DENIEUL, c'est la vraie qualité des paysages imaginés par les architectes paysagistes, les arbres ayant poussé, la nature ayant repris, sinon tous ses droits, du moins des droits sur cette saillie dans le paysage que généra la création de l'autoroute.

Mieux encore et surprenamment, de véritables îlots de biodiversité ont parfois été ainsi constitués ou se sont spontanément reconstitués, espèces végétales et animales ayant progressivement adapté leur mode de vie aux contraintes inhérentes à la voie autoroutière, notamment au bruit.

Enfin, ce qui est le plus étonnant, c'est ce phénomène que j'appelle la GSPB:  Génération Spontanée de Biodiversité Paradoxale.

Il s'agit de l'apparition, dans des espaces a priori insusceptibles d'offrir un refuge ou un lieu de vie adapté pour des espèces animales ou végétales, de biotopes improbables, permettant à des espèces de réapparaître là où elles avaient disparu, de favoriser également l'implantation d'espèces jusque-là totalement absentes des régions où se situent ces espaces.

Bassins de rétention d'eaux pluviales, d'eaux de ruissellement, piles de ponts ou viaducs et espaces relativement inaccessibles à l'homme offerts par les ouvrages d'art routiers, terre-pleins centraux des autoroutes jamais explorés par l'homme-chasseur, bordures de boulevards périphériques aux sols imprégnés de substances hydrocarburées, zones voisines des pistes aéroportuaires, etc. : d'impensables réservoirs d'espèces se sont ainsi constitués.

Ces espèces et sous-espèces y ont développé des facultés d'adaptation rares, leur horloge biologique s'est adaptée et fonctionne au rythme d'un environnement certes ingrat et pollué mais protecteur en ce qu'il éloigne par exemple de certaines formes de prédation.

Elles évoluent imperceptiblement, au gré des apports successifs des individus de chaque espèce installés là à cette "mémoire génétique" génératrice d'une sorte de programmation dans les mutations de l'espèce que la grande paléontologue Anne DAMBRICOURT-MALASSÉ, secrétaire générale de la Fondation Teilhard de Chardin présidée par le professeur Henri de LUMLEY (http://www.mnhn.fr/teilhard/), a consacré sa carrière scientifique à observer, à repérer, mais bien évidemment sur une autre durée que celle qui nous occupe ici, notamment chez les primates.

Néanmoins, mutatis mutandis, le processus est quelque part le même...

L'adaptation de l'espèce à son milieu de vie est une constante qu'on observe aujourd'hui jusque dans les lieux les plus effroyablement pollués, souillés, rendus d'apparence invivables, que l'homme a été capable de laisser se constituer en urbanisant sans retenue.

Lueur d'espoir sur une planète menacée par l'action humaine, et sujet passionnant d'observation pour les scientifiques, mais aussi pour les philosophes et les poètes.
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