"Pénètre à l'intérieur, jusqu'à leur faculté directrice, et tu verras quels juges tu redoutes, et pour eux-mêmes, quels juges ils sont."
                       
                Marc-Aurèle

                            "Pensées pour moi-même" Livre IX, pensée XVIII


Il existe une "association française des magistrats instructeurs", l'AFMI, organisation à vocation corporatiste défendant les prérogatives et intérêts des membres de cette profession (http://www.afmi.asso.fr/).


L'association s'émeut, ces jours-ci, du projet gouvernemental
d'instaurer l'enregistrement vidéo des auditions par les juges de l'ensemble des personnes mises en examen, qui trouve sa génèse dans l'affaire d'Outreau et les "performances" professionnelles du juge d'instruction chargé initialement du dossier.

On la comprend !

Que sait-on, dans l'opinion publique, du déroulement de ces auditions ?

Peu de choses, évidemment, tant la corporation précitée, à la fois par éthique professionnelle pour l'essentiel de ses membres mais aussi par une conscience tue des aléas du système actuel, se montre très peu communicative quant aux conditions de conduite des instructions judiciaires " à la française".

La réalité est simple : le mis en examen est introduit dans le cabinet du juge d'instruction avec son avocat.

Il est installé face au magistrat instructeur flanqué de son greffier.

Le juge pose ses questions, le plus souvent préalablement rédigées par lui et saisies sur l'ordinateur du greffier.

Le mis en examen y répond, avec ses mots, souvent très éloignés de ceux usités par le juge, dont il ne comprend pas toujours le vocabulaire "pénaliste" employé dans l'exposé de ses questions.

Il répond aussi avec ses maladresses, la fréquente impréparation dans laquelle il se trouve de ce type d'audition, que les conditions de détention provisoire souvent effroyables, archaïques, indignes d'une République moderne, empêchent de préparer sereinement.

La pièce dans laquelle il se trouve, qu'on baptise "cabinet du juge d'instruction", n'a parfois rien du lieu neutre, dénué de tout signe ostentatoire, de témoignage d'opinions ou convictions qui devrait être pourtant la règle impérieuse dans la cadre d'un palais de justice, lieu public où se mènent les procédures conduites "au nom du peuple français".

Il n'est pas rare en effet que le juge exhibe ses convictions personnelles ou ses goûts artistiques ou littéraires quand ce ne sont des engagements personnels, là au travers d'une affiche, là d'une collection de livres aux titres aisément lisibles ou d'un objet posé sur sa table.

C'est ainsi.

Cela contribue au sentiment de malaise, de stress parfois, qui envahit le mis en examen.

Lorsque ce dernier a achevé de répondre à une ou plusieurs questions, - c'est selon, en fonction des habitudes de travail des magistrats -, alors et alors seulement le greffier se met au travail.

C'est en effet sous la dictée du juge que cet auxiliaire de justice rédige la réponse "attribuée" au mis en examen dans le projet de procès-verbal.

Le juge dicte ce qu'il a retenu ou noté manuscritement des propos de son interlocuteur et en fait de la synthèse de ceux-ci son affaire.

On imagine aisément les aléas auxquels expose, tant qu'ils ne seront pas intégralement enregistrés, ces exercices de transcription d'une pensée et d'une expresssion.

Aussi honnête intellectuellement soit-il, le juge d'instruction peut ne pas traduire fidèlement ce qui lui a été dit.

Certes, le mis en examen a la faculté théorique de faire modifier, lorsqu'il lui est présenté pour signature, au terme de longues et éprouvantes heures d'audition, le procès-verbal d'audition.

Certes, l'avocat, qui assiste, le plus souvent en "muet du sérail", à l'interrogatoire, puisqu'il ne saurait se substituer dans ses réponses à son client, peut appuyer voire anticiper une telle demande.

Mais la réalité est que, par crainte, par méconnaissance de ses droits, ou parce que le magistrat exprime un agacement immédiat à une timide demande de rectification, même mineure, ou par volonté aussi pour ce qui concerne l'avocat de ne pas mécontenter le juge qu'il sera appelé à retrouver bientôt pour d'autres de ses clients, ces rectifications sont peu fréquentes, laissant dans les faits une marge de manoeuvre considérable au magistrat.

Or, l'enregistrement est de nature à radicalement changer les choses, ouvrant une possibilité nouvelle, celle de confronter l'écrit à la réalité et au sens initial des dires.

Oui, pour nous, l'enregistrement est un gage de sûreté, car pour être juge d'instruction ces magistrats n'en sont pas moins hommes ou femmes, susceptibles
d'une simple inattention, d'étourderie, de faiblesse voire parfois d'interprétation trop libre des propos tenus ou d'omissions, volontaires ou involontaires.

Je pense, en écrivant ces lignes, à une phrase de Marc-Aurèle dans " Pensées pour moi-même" :

" On est souvent injuste par omission, et non pas seulement par action."

À l'heure de la transparence érigée par les juges eux-mêmes comme par nos sociétés occidentales en général en principe sacré, voir celle-ci s'appliquer à leur activité d'instruction, s'agissant des auditions, paraît une évidence.

Tellement d'ailleurs, que le législateur devrait prévoir qu'en cas de défectuosité des matériels ou d' incident technique rendant inexploitables les enregistrements, les auditions devraient être recommencées.

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