Le journal « Le Monde » a publié, jeudi 12 avril, un portrait d'Eric de Montgolfier, un de plus, en demi-teinte, celui-là. Ce procureur ne refuse jamais une interview, attiré par les média comme la mouche par la lampe. C’est à ce personnage qu’on doit, il y a une vingtaine d’années, d’avoir, face à Bernard TAPIE notamment, fait le choix de s’affranchir des dispositions de l’article 11 du code de procédure pénale de l’époque qui stipulait : « Sauf dans le cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l'enquête et de l'instruction est secrète. Toute personne qui concourt à cette procédure est tenue au secret professionnel dans les conditions et sous les peines des articles 226-13 et 226-14 du code pénal ».

Désormais, s’engouffrant dans la brèche ouverte par l’ex-procureur de Nice, nombre de procureurs de la République, avec des bonheurs divers liés à leur capacité – très inégale – d’expression publique, prennent la parole publiquement pour « donner du grain à moudre aux journalistes et au grand public, canaliser tant soi peu l'émotion, diffuser aussi une image flatteuse et rassurante de la justice», ainsi que l’écrivait récemment le journaliste Stéphane DURAND-SOUFFLANT, dans l’édition du Figaro du 12 avril.

Plus stupéfiant encore, nos gardes des sceaux successifs ont pris l’initiative de faire former ces magistrats à la communication. A cet effet, et pour mettre le code de procédure pénale en conformité avec cette volonté politique, l'article 11 de celui-ci a ouvert une brèche dans le secret des enquêtes en ajoutant un nouvel alinéa ainsi rédigé : «Afin d'éviter la propagation d'informations parcellaires ou inexactes ou pour mettre fin à un trouble à l'ordre public, le procureur de la République peut (…) rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure ne comportant aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues contre les personnes mises en cause».

Une cellule spécialisée de la place Vendôme assure même le coaching d’une soixantaine de procureurs et substituts chaque année, dans le cadre d'un partenariat avec des écoles de journalisme ! Enfin, des MRP, «magistrats référents presse» (sic) ont été désignés.

Cette dérive, car il s’agit clairement d’une dérive, porte gravement atteinte aux droits de la défense. J’en ai fait à titre personnel l’expérience, Eric de Montgolfier, en 2003, voici bientôt dix ans, ayant dans un dossier me concernant à Nice communiqué outrageusement durant la période de garde à vue puis de détention provisoire que j’eus à subir, exagérant ouvertement et sciemment les charges qui pesaient contre moi, ainsi qu’en atteste la lecture de la presse locale de l’époque, si on la compare aux charges retenues in fine.

Plus grave encore, plusieurs années après le jugement rendu dans cette affaire, ce même Montgolfier publia en toute impunité un livre, « Le devoir de déplaire » (éditions Robert LAFFONT, 2006), dans lequel, tout en étant encore en fonctions au parquet de Nice, et donc tenu au devoir de réserve…, celui-ci revenait longuement sur plusieurs affaires dont il avait eu à connaître ès qualité, dont la mienne. La chancellerie, à l’annonce de cette publication, ne réagit pas : il est vrai que le garde des sceaux de l’époque, un certain Pascal CLEMENT, n’a pas laissé un grand souvenir et n’avait d’évidence ni la trempe d’un Jean FOYER, ni celle d’un PEYREFITTE ou d’un BADINTER.

Pour récompenser cette attitude digne de la Fronde des Parlements d’Ancien Régime (il est vrai que Monsieur de Montgolfier puise probablement dans ses racines familiales une appétence particulière pour cette magistrature de robe frondeuse et rebelle au pouvoir qui la nomme), voici l’intéressé nommé Procureur Général à Bourges, quelques mois avant sa mise à la retraite. Curieuse pratique que de nommer pour quelques mois à de si hautes fonctions judiciaires un magistrat en effet bientôt atteint par la limite d’âge : retour peu reluisant aux pratiques de la fonction militaire d’il y a quelques décennies, au sein de laquelle se pratiquait la nomination de ce que l’on appelait des        «généraux quart de place», recevant leurs deux étoiles pour pouvoir prétendre peu après à une retraite à taux majoré et à des tarifs SNCF "quart de place"…

Il est grand temps que les moralisateurs permanents que sont certains de ces magistrats se voient rappeler à des comportements plus conformes à l’éthique judiciaire. Il nous faudrait pour cela des gardes des sceaux courageux, sachant rappeler à leurs devoirs ceux des juges aimant flirter avec la ligne jaune…

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