Monsieur Jean-Louis Nadal, encore Procureur général près la Cour de Cassation  pour dix jours, et après quarante-quatre ans d'exercice professionnel, était invité, vendredi 17 juin, à effectuer une intervention publique sur le thème «le pouvoir de la Justice» lors des deuxièmes entretiens du Jeu de Paume, organisés à l'initiative du remuant Jean-Jacques AILLAGON, Président de l'établissement public du château de Versailles, à la Salle du Serment du Jeu de Paumes.

 

Sans doute saisi par l'âme du lieu, le futur retraité semble s'y être émancipé, avec dix jours d'avance, du devoir de réserve et du principe de la séparation des pouvoirs auquel tout magistrat se doit de veiller.


 "La justice, affirma ce magistrat situé au sommet de la hiérarchie judiciaire, a été littéralement jetée dans le débat politique, lors des élections présidentielles de 2002. L’exploitation du thème de l’insécurité - la dénonciation chronique du prétendu laxisme des juges, les contradictions dans lesquelles on poussait la population en la prenant à témoin du malheur des prisons tout en reprochant aux juges de ne pas assez les remplir - tout a été dévastateur."

 

Dévastateur... Rien moins que cela ? Voilà un magistrat qui donne à son propos une connotation politique, s'érige en juge  des hommes politiques (une habitude, il est vrai chez lui, que de juger...), oubliant bien vite dans quel contexte la justice s'est trouvée au coeur du débat politique ces dernières années : l'affaire d'Outreau, l'abus du recours à la détention provisoire qu'elle a une nouvelle fois révélé, la quasi-impunité du juge BURGAUD, l'absence totale de sanction des fautes professionnelles commises par un magistrat dans l'exercice de ses fonctions, à l'inverse de toute autre catégorie de fonctionnaires, au nom d'une indépendance de la magistrature invoquée par ses pairs et probablement par Monsieur NADAL en particulier.

 

Ce dernier semble oublier l'existence, en démocratie, d'une opinion publique, d'un corps électoral, fait de citoyens qui, les enquêtes d'opinion nous le confirment de manière récurrente depuis plusieurs années, estiment que les juges ne sont pas vraiment responsables de leurs erreurs professionnelles et que cela est profondément anormal, créant une rupture d'égalité de traitement au sein de la fonction publique.


 Selon Jean Louis Nadal, décidément d'une prolixité surprenante pour un magistrat encore en exercice, le juge "ne doit évidemment pas espérer une récompense pour le jugement qu’il va rendre. Il serait alors un juge vénal radicalement disqualifié. Mais il ne doit pas non plus avoir la crainte d’être puni car la décision déplait, car un juge qui aurait peur, qui se déciderait dans le sens qui lui éviterait des ennuis, souffrirait d’une forme de corruption par laquelle il rechercherait son intérêt personnel plutôt que celui du justiciable."

 

Là, on entre dans la déformation, que l'on n'ose supposer intentionnelle..., des propos du Président de la République sur la responsabilité professionnelle des magistrats. Jamais il n'a été évoqué par Nicolas Sarkozy, dont les lecteurs de ce blog savent que je ne suis pourtant pas un inconditionnel, l'intention de placer les magistrats dans la crainte d'être puni pour des décisions de justice "qui déplaisent", mais bien de les rendre, si cela est nécessaire, responsables d'erreurs professionnelles qu'ils sont susceptibles de commettre, comme n'importe quel autre fonctionnaire, dans l'exercice de leurs fonctions, car personne n'est infaillible. 


Que Jean-Louis Nadal propose l’instauration d’un procureur général de la Nation, comme l'a fait avant lui Dominique de Villepin,  qui aurait autorité sur le parquet  et se trouverait déconnecté du pouvoir politique, mérite débat et réflexion, sans nul doute.

 
Mais que l'intéressé, se sentant soudain un visionnaire, affirme que "nous sommes entrés qu’on le veuille ou non dans ce moment de l’histoire où l’autorité judiciaire est en train de se muer en pouvoir judiciaire.", et l'on croit voir resurgir les vieux démons du gouvernement des juges, le souvenir des frondes des parlements d'Ancien Régime, l'inenvisageable aspiration de certains magistrats enveloppés d'hermine à l'exercice d'un "pouvoir" affranchi de tout contrôle.


La volonté d'émancipation forcenée, non seulement des juges mais aussi des parquets, qu'expriment notamment certains procureurs habitués à s'épancher dans les médias, à l'image du Procureur de Nice, E. de MONTGOLFIER, trouve dans les propos de Monsieur NADAL, un écho amplificateur.


 

Sauf qu'il y a encore dans ce pays une majorité de citoyens pour considérer que l'émergence de "ce véritable pouvoir judiciaire" auquel ils aspirent, ne serait rien moins qu'une régression démocratique. Et je suis de ceux-là.

 

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